On ne sait plus que faire de notre nationalisme

Ce texte est un extrait d’une conférence prononcée en marge de l’Assemblée générale de l’Institut du Nouveau Monde, le 26 septembre 2017, à la Bibliothèque et Archives nationales, à Montréal, à l’occasion de mon départ de l’INM

Je suis convaincu que le traumatisme causé par le référendum de 1995, ce match nul sur le projet d’indépendance du Québec, joue un rôle dans la résurgence de débats comme celui portant sur la laïcité.

L’on ne semble plus savoir que faire de notre nationalisme. Et en l’absence d’un projet national de nature politique comme l’étaient soit celui de la souveraineté soit celui d’obtenir pour le Québec un statut particulier au sein du Canada, les enjeux culturels et identitaires sont mobilisés comme un succédané.

On a vu se cristalliser depuis le début des années 2000 deux positions qui, aujourd’hui encore, semblent dominer les familles politiques québécoises. D’un côté, la défaite référendaire a eu pour effet de provoquer dans le camp souverainiste un mouvement de repli, pas unanime mais important, une sorte de rejet de la pratique nationaliste qui avait dominé le Québec depuis les années 1960 ; un nationalisme civique qui intègre la dimension culturelle de l’identité québécoise tout en ouvrant ses bras aux Québécois d’origines diverses, venus des quatre coins du monde, tricotés serrés mais de laines étrangères.

Le « Nous » de ces souverainistes inquiets ou fatigués exige des nouveaux arrivants qu’ils se conforment ou qu’ils convergent sur le plan culturel vers une définition de l’être québécois qui ne fait guère de compromis.

De l’autre, celui des fédéralistes, la question nationale est devenue taboue depuis 15 ans. La Chambre des communes a adopté une motion reconnaissant que « les Québécois forment une nation au sein d’un Canada uni » mais ces paroles n’ont pas connu de suites concrètes. Le statu quo s’impose et s’enracine.

Notre « façon d’être Canadiens »

En juin dernier (2017), comme par surprise, le premier ministre Philippe Couillard a publié un document de politique portant sur l’affirmation du Québec et les relations canadiennes. Surprise car, durant le campagne électorale de 2014, la question nationale ne faisait pas partie des « vraies affaires » évoquées dans le slogan de son parti.

Ce document, qui n’a fait l’objet d’aucun débat public, constitue surtout une proposition de réconciliation des Québécois avec le Canada. Son sous-titre l’exprime bien : Québécois, notre façon d’être Canadiens.

Le document affirme l’existence d’une nation québécoise mais ne suggère ni ne demande aucune réforme particulière, aucune action politique immédiate sinon pour réaffirmer des exigences qui avaient été formulées en 1985, il y a plus de 30 ans et qui furent depuis largement dépassées dans le débat sur le statut constitutionnel du Québec. L’avenir nous dira si cette politique aura des effets concrets ou s’il s’agit de l’expression d’une résignation.

Redécouvrir les vertus de la nation

Le nationalisme civique et territorial qu’était devenu le nationalisme québécois, et le combat politique dont il était le fer de lance, a pourtant été l’une des forces motrices du développement économique du Québec et de ses régions, de son rayonnement international, de son approche solidaire, égalitaire et lucide des rapports sociaux et de l’immigration autant que de bonne entente avec les nations autochtones et inuites partageant le même territoire.

L’affirmation nationale a donné confiance aux Québécois, leur a insufflé une dose de sérénité qui rendait possible d’accommoder les différences culturelles et religieuses parce que notre identité collective était clairement assumée.

Qui rendait possible aussi de discuter « de nation à nation » et de conclure avec les Cris et les Inuits de la Baie-James la Paix des braves ou amorcer, avec les Innus de la Côte-Nord et du Saguenay, des négociations territoriales dans une approche commune qui a failli réussir. L’on peut négocier de nation à nation lorsque l’on est capable de se dire soi-même nation. On ne le peut plus lorsque l’on cesse de le croire. Le réflexe minoritaire resurgit et l’on se sent menacé.

La nation, ce n’est pas seulement une identité culturelle comme les élites politiques semblent le concevoir de part et d’autre de l’échiquier aujourd’hui. C’est un principe d’organisation collective permettant de décider ensemble, délibérer ensemble pour définir le bien commun ainsi que les moyens de le défendre.

Mais le concept de nation est au banc des pénalités. Justin Trudeau clame d’ailleurs que le Canada est le premier État post-national. Plus personne n’ose le défendre et les plus jeunes n’y recourent presque jamais. Pourtant, à l’ère de la mondialisation, la nation est un principe démocratique, c’est le seul lieu vraiment politique qu’il nous reste.