L’espérance
Ce texte a paru le 23 décembre 2002 dans Le Devoir
À quoi sert Noël, sinon à se remettre à espérer? Les chants liturgiques le proclament. La chanson populaire du temps des Fêtes est, elle aussi, imprégnée d’un désir de bonheur simple, de la victoire des joies quotidiennes sur les ennuis tenaces, la promesse d’un allégement du coeur.
La fête ne sera pas un épisode vain. Noël est un temps d’arrêt, de répit, de retrouvailles et de réflexion. De renouvellement. Un recommencement. L’an prochain, ça ira mieux… From now on, our troubles will be out of sight, comme le chantent Tony Bennett ou Marie-Michèle Desrosiers.
Dans la culture chrétienne, dont la plupart d’entre nous sommes des héritiers, Noël, c’est trouver la vie là où l’on ne l’attendait plus, y compris dans une étable.
Qu’on se gausse de ne plus croire en rien ou que l’on soit pieux à l’excès, la naissance de Jésus le Christ, et sa célébration annuelle, continuent de marquer les imaginations autant que le calendrier. Notre civilisation a cessé de croire en l’au-delà. Mais, comme le dit Thierry Hentsch, quelque chose de la promesse chrétienne survit dans la manière occidentale moderne de comprendre la vie.
Le p’tit Jésus, placé mécaniquement dans une crèche improvisée, sous l’arbre, est enseveli sous les emballages scintillants et on n’y posera guère le regard entre la tourtière et la dinde. Mais qu’on le veuille ou pas, c’est Lui qui continue de donner son sens à la fête. Si ce n’est Lui, quoi d’autre? Certainement pas les joies du boxing day…
Ce n’est pas sa faute. C’est que son symbole reste puissant. Les évangélistes avaient du talent. L’enfant qui naît est une promesse. Il est celui en qui nous plaçons nos espérances que le monde de demain sera meilleur que celui d’aujourd’hui.
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Le Québec a rejeté la religion catholique avec un zèle remarquable. Mais c’est oublier que tout l’Occident s’est sécularisé. Ici, pas plus qu’ailleurs, nous n’avons toutefois trouvé encore par quoi remplacer la mythologie chrétienne pour donner du sens à certains épisodes de notre vie.
Il y aurait d’autres mythes sur lesquels s’appuyer pour comprendre le monde. Mais les métaphores chrétiennes font partie de notre culture. Elles continuent de nous définir. Elles sont en nous. Elles font partie de l’héritage que nous transmettons, parfois involontairement, à nos enfants. Ni le pluralisme ni la laïcité ne devraient nous imposer de renier cet héritage, d’y tourner le dos et de bouder ses rituels.
Un nouveau conformisme voudrait aujourd’hui que l’on renonce à des choses qui forment notre identité. Au nom d’une rectitude politique, il faudrait célébrer le triomphe de la raison instrumentale. D’aucuns cherchent à nous donner mauvaise conscience d’affirmer d’où nous venons, qui nous sommes. L’esprit critique n’impose pas le renoncement. La liberté n’est pas rejet des traditions. Celles-ci nous aident à faire ensuite notre chemin.
Autant la religion catholique est un élément constitutif de ce que nous sommes (c’est sans doute la raison pour laquelle, que l’on soit croyant ou pas, nous ne pouvons éliminer ses traces aussi facilement que certains le souhaiteraient), autant elle est un des éléments qui nous unit à une culture universelle, au-delà de la langue mais en dehors des vérités de l’économie de marché et celles de la techno-science.
Il reste de la religion catholique, y compris pour les athées, un ensemble de repères pour comprendre les liens qui nous unissent et certains rites de passage, sans lesquels plusieurs d’entre nous serions démunis. Cette religion s’appuie sur une pensée philosophique millénaire dont l’influence s’étend jusqu’au contenu des chartes des droits et libertés et qui dicte la pensée occidentale sur un certain nombre de questions morales, éthiques, auxquelles le monde est aujourd’hui confronté.
Je ne suis pas croyant. Mais, comme beaucoup d’autres, je trouve dans la pensée chrétienne de quoi me nourrir en toute liberté.
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L’espérance est une force, une aptitude, une capacité à imaginer le monde autrement, meilleur. C’est une aspiration au bonheur. Symboliquement, celle-ci est incarnée par l’enfant qui naît. Mais elle s’exprime également, à Noël, dans la lumière et la fête, dans le partage et le rassemblement. Personne ne veut passer Noël en solitaire.
Ceux qui travaillent feront une petite fête, ouvriront une bouteille, échangeront quelques babioles, se tailleront une pointe de tourtière et une tranche de bûche au chocolat. Les autres recevront parents et amis. Plusieurs élargiront le cercle de leurs célébrations en se joignant aux fidèles à la messe de minuit. On continue de s’échanger des voeux, des cartes, des courriels.
L’espérance s’exprime en groupe. Le monde est si vaste, si fou, si terrible: une personne ne peut le changer seule, fût-elle un enfant-roi. Au-delà du plaisir de partager, de recevoir et d’être reçu, de célébrer, d’oublier ses ennuis le temps d’une veillée bien arrosée, il reste de ces rencontres le sentiment de faire partie d’une équipe, d’une famille, d’une communauté, sans lesquelles nous serions des bouteilles à la mer.
Je vous souhaite un très Joyeux Noël!