Éduquer : Éléments pour un Rapport Parent 2.0

Allocution prononcée dans le cadre du 37e colloque de l’Association québécoise de pédagogie collégiale (AQPC), le 8 juin 2017, à Montréal1.

En 1961, le gouvernement du Québec crée la Commission royale d’enquête sur l’enseignement, présidée par Monseigneur Alphonse-Marie Parent, vice-recteur de l’Université Laval. Le « Rapport Parent », une brique de 1500 pages en cinq volumes publiés entre 1963 et 1966, devint le guide de la réforme de l’éducation menée pendant la Révolution tranquille. On m’a demandé, récemment, de proposer, cinquante ans après sa parution, ce que j’ajouterais à ce rapport s’il était publié de nos jours. Je me suis prêté à l’exercice, me bornant à souligner trois dimensions qui m’apparaissent essentielles.

La petite enfance

La reconnaissance des services éducatifs à la petite enfance est à mes yeux la première dimension à considérer dans un Rapport Parent 2.0.

Pour la Commission Parent, l’enfant est « apte à profiter d’activités éducatives suivies » dès l’âge de 4 ans. Pour assurer la réussite scolaire à plus long terme du plus grand nombre, il est nécessaire de recourir à une éducation préscolaire bien organisée dont les tâches sont les suivantes : contribuer à la santé de l’enfant, l’aider à enrichir sa pensée, développer les qualités intellectuelles de base, l’ouverture au monde, la sociabilité, les modes d’expression esthétique, les habitudes morales. Bien qu’elle fut alors traditionnellement réservée aux enfants privilégiés, l’éducation préscolaire doit désormais être accessible à tous : elle est même plus nécessaire encore, dit la Commission, « dans les milieux où les enfants ne bénéficient pas d’un climat familial qui éveille l’esprit et qui cultive le goût ». Il faut donc établir l’éducation préscolaire comme service public gratuit et disponible partout sur le territoire par le réseau des commissions scolaires.

Cinquante ans plus tard, l’importance d’agir tôt dans la vie des enfants pour favoriser leur développement fait consensus sur le plan scientifique. Et ce bien avant l’âge de 4 ans. Si le Québec a construit un réseau de services à la petite enfance, à travers des CPE, des garderies, des services en milieu familial, ceux-ci ont été perçus jusqu’à récemment par un grand nombre de Québécois surtout comme des instruments pour favoriser la conciliation entre la famille et le travail qui ont entre autre créé des conditions propices à  l’entrée massive des femmes sur le marché du travail.

Cette perception est en train de changer et à l’hiver 2017, la Commission sur l’éducation à la petite enfance, présidée par André Lebon, une initiative de l’Association québécoise des centres de la petite enfance accompagnée par l’INM, a appelé le gouvernement et la société québécoise à changer de paradigme.

Il faut désormais considérer ces services d’abord comme des services éducatifs, pleinement intégrés au parcours d’apprentissage de l’enfant. Les services éducatifs à la petite enfance doivent être traités avec la même importance que l’école même si ce n’est pas l’école. La commission ne suggère d’ailleurs nullement de s’engager dans une scolarisation précoce des enfants mais de reconnaître que l’éducation (concept plus large que la scolarisation) commence dès l’âge tendre.

La Commission propose la gratuité complète des services éducatifs offerts aux 0-5 ans. Si c’est aussi important que l’école, ce doit être traité comme l’école. Comme l’école est gratuite, les services à la petite enfance doivent l’être aussi. Un Sommet tenu en mai a confirmé les orientations de la commission, sauf pour la gratuité qui n’a pas été retenue dans la déclaration finale.

La petite enfance est une période de développement accélérée: ce sont en effet plus de 700 connexions neuronales qui se forment à la seconde entre 0 et 3
ans (Center on the Developing Child, 2007). L’acquisition du langage est à elle seule une merveilleuse épopée : bien avant de prononcer ses premiers mots vers l’âge de 1 an, bébé s’est intéressé aux sons et aux voix quand il était dans le ventre de sa mère (Phillips & Shonkoff, 2000).
Les jeunes enfants observent tout et expérimentent beaucoup. Plusieurs périodes critiques sont ainsi présentes durant la petite enfance, périodes pendant lesquelles les enfants réalisent plusieurs apprentissages qui leur seront utiles jusqu’à l’âge adulte (Phillips & Shonkoff, 2000).

L’Enquête québécoise sur le développement des enfants à la maternelle (EQDEM) nous révèle qu’un enfant québécois sur quatre n’a pas tous les acquis nécessaires au moment de son entrée à l’école (Simard et collab., 2013). Ce pourcentage grimpe à 44% chez les enfants de milieux très défavorisés qui n’auront fréquenté ni services de garde éducatifs ni prématernelle 4 ans. Ces enfants n’arrivent pas à l’école avec tout le bagage attendu pour leur âge, ce qui constitue un facteur de risque pour le succès futur de leur scolarité (McCain & Mustard, 1999).

Bien que la réussite scolaire ne soit pas le seul facteur qui ait une influence sur la qualité de vie d’une personne, elle demeure néanmoins une dimension d’intérêt, car elle est étroitement associée au bien-être physique et psychologique (Cutler & Lleras Muney, 2006), à l’état de santé (Cutler & LlerasMuney, 2006), à la stabilité d’emploi (Janoz, 2004) de même qu’à l’implication citoyenne (Uslaner & Brown, 2005).

Au Québec, l’égalité des chances est l’idéal sur lequel s’est construit le système d’éducation dans les années 1960, à la suite du Rapport Parent. Cet idéal a été réaffirmé à l’occasion de la Commission sur les États généraux sur l’éducation en 1995-1996 : « [l’égalité des chances] suppose de développer les services à la petite enfance, d’éliminer les pratiques qui compromettent
la gratuité scolaire, d’accorder la priorité à la lutte au décrochage et de mieux répondre aux besoins de certaines catégories d’élèves comme ceux des communautés culturelles, ceux des milieux défavorisés et ceux qui éprouvent des difficultés d’adaptation et d’apprentissage ».

L’éducation citoyenne

L’école du 21e siècle doit faire une place plus importante à l’éducation citoyenne.

Plusieurs raisons militent en faveur d’une meilleure connaissance par les jeunes du fonctionnement de la démocratie, de l’importance de la participation dans une société démocratique et des responsabilités, et non seulement des droits, qui découlent de la citoyenneté.

C’est d’ailleurs pour répondre à de tels besoins que l’INM a créé, en 2004, son école de participation citoyenne, notre école d’été. Nous croyons transmettre aux jeunes des compétences essentielles à travers ces activités, qui ont rejoint plus de 10 000 jeunes depuis bientôt 15 ans, en plus de s’exporter en Europe.

Un facteur rend encore plus importante l’éducation citoyenne. L’abstention électorale des jeunes (qui a chuté à 30 % au début du siècle, pour remonter légèrement après la crise étudiante de 2012). Cette abstention a ceci de particulier que, selon des études, une personne qui n’exerce pas son droit de vote au moment où elle l’acquiert risque davantage que les autres de ne jamais l’exercer tout au long de sa vie2. L’impact pourrait être nocif pour notre démocratie à long terme, affectant négativement la légitimité des gouvernements. La participation des jeunes est trop faible pour assurer le renouvellement des générations dans l’électorat actif.

Les éléments de base à transmettre

Quelles sont les compétences essentielles à transmettre aux jeunes pour en faire des citoyens autonomes ? Il y en a plusieurs. À commencer par savoir lire et écrire de manière à comprendre les messages qui inondent notre quotidien. Quand on connaît les taux effarants d’analphabétisme au pays, il y a de quoi être inquiet. C’est une compétence de base. Grâce à laquelle on pourra, ensuite, comprendre les médias, déconstruire les discours, se prémunir contre les propagandes et les fausses nouvelles, faire la part des choses sur les médias sociaux. Décider pour qui voter ou pourquoi ne pas voter.

Et puis un jour, il faut en venir à savoir comment fonctionnent nos institutions, pour y participer, ou pour les changer. Si on fait la révolution, savoir contre qui et pourquoi on la fait. Quelques jours après le déclenchement des élections de 2014, l’Institut du Nouveau Monde a publié une proposition à mettre en débat3 : créer un rite de passage civique à l’école secondaire et l’assortir de réformes qui renforceraient, chez le jeune, mais aussi chez les moins jeunes, le sentiment que voter n’est pas qu’un droit mais un devoir et une responsabilité.  Nous avons proposé d’instituer un cours obligatoire d’éducation à la citoyenneté au secondaire. Et puis d’en profiter pour abaisser l’âge du vote à 16 ans, de manière à ce qu’un jeune qui vote pour la première fois le fasse dans un contexte où il bénéficie de l’encadrement institutionnel de l’école qui le prépare à ce geste tout en le valorisant. L’école pourrait célébrer l’acquisition du droit de vote de la même manière que l’on célèbre l’obtention de la citoyenneté pour un immigrant. Et pour encourager les jeunes à s’engager, un Service civique pourrait leur être offert. Une telle formation pourrait fort bien, dans le contexte actuel où l’âge de l’obtention du droit de vote demeure à 18 ans, être faite au niveau collégial. Les cours de philosophie ne suffisent pas à former un citoyen complet.

Les compétences à acquérir

Au-delà de ces apprentissages, je veux souligner trois dimensions qui m’apparaissent centrales dans la formation d’un citoyen.

Pour moi, un citoyen est avant tout quelqu’un qui a le souci des autres. Quelqu’un qui a conscience d’appartenir à sa communauté, à une société, à une nation, à l’humanité. Qui comprend que l’on ne peut résoudre seul un ensemble de problèmes qui nous sont communs mais qui nous dépassent comme individus. Et que l’on ne peut réaliser certaines aspirations autrement que collectivement. La première compétence d’un citoyen est d’avoir le souci des autres.

Je sais que dans une démocratie libérale, un citoyen est d’abord le titulaire de droits et de libertés garantis par des chartes, des constitutions et des déclarations internationales. La connaissance de ses droits est certes importante mais ce n’est pas ce qui m’inquiète le plus.  J’ai observé depuis 14 ans que je sillonne le pays pour animer des dialogues entre les citoyens, à quel point aujourd’hui chacun vit dans son propre univers, se prémunissant de s’ouvrir à celui des autres, de peur de se laisser habiter par d’autres valeurs, d’autres préférences et, oh misère, changer soi-même. Or si, comme je le crois, être un citoyen amène à être conscient de faire partie d’une société, et d’y avoir des responsabilités, pour soi, pour les autres qui m’entourent et pour la planète, eh bien, cela veut dire être prêt à considérer que d’autres peuvent avoir des besoins différents des miens, des avis différents des miens et qu’il y a lieu de me mettre à leur écoute, avec bienveillance. Et empathie.

Avoir le souci des autres, c’est prendre soin, non seulement de soi en fonction des droits qui me sont reconnus individuellement ou à la catégorie de population à laquelle j’appartiens, mais prendre soin de toutes les personnes avec qui je partage un espace qui peut être aussi vaste que la planète.

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La deuxième compétence civique qui m’apparaît importante et que je ne vois pas s’exprimer autant que je le souhaiterais parmi les jeunes que je fréquente, et les moins jeunes aussi, c’est le désir de gagner. Le désir de vaincre. Le désir de voir les choses progresser. Bref, avoir le goût de l’avenir et donc la volonté de modeler celui-ci. Le refus des déterminismes soient-ils économiques, culturels, religieux ou technologiques. Aller vers l’avant.

Les trois compétences dont je vous parle sont liées. Il faut vouloir et savoir gagner, certes, mais avec bienveillance. En conservant le souci des autres. Or comment gagner avec bienveillance ? Vouloir gagner est important pour un citoyen parce que l’exercice de la citoyenneté implique une participation à la communauté politique au sein de laquelle sont prises des décisions et sont édictées des normes qui vont définir la société dans laquelle je vis. Être un citoyen, c’est vouloir aussi influencer le cours des choses.

Ces choix collectifs sont le résultat de processus décisionnels dans lesquels certains points de vue triomphent et d’autres pas. Si je pose comme prémisse qu’une société démocratique doit être une société bienveillante, je ne suis pas neutre. J’ai un point de vue et je veux le faire triompher. Je veux gagner. On ne peut pas nier la nature conflictuelle de la démocratie.

Or aujourd’hui, nous semblons avoir perdu, à supposer que nous l’ayons déjà eue, la faculté de débattre, de dialoguer ou de délibérer publiquement autrement qu’en assénant des arguments massue dans le but de disqualifier l’adversaire. La culture de l’argument domine sur celle du dialogue et de l’échange. Nous vivons dans une société de communication dans laquelle l’on cherche à triompher par la persuasion, la publicité et la propagande.

Gagner avec bienveillance implique de vaincre ensemble, ou vaincre avec d’autres, ce qui est la racine étymologique du mot convaincre.. Convaincre implique que l’on accepte d’écouter le point de vue de l’autre, de s’en laisser habiter et d’admettre la possibilité de changer le sien pour que ce qui ressortira de la discussion soit une position tierce qui satisfasse le plus grand nombre. Nous sommes dans la concertation, la recherche de consensus (contrairement à ce que l’on croit, rechercher le consensus n’est pas une maladie ou un défaut, c’est une manière de vivre ensemble dans des sociétés pluralistes).

La deuxième compétence à acquérir pour les citoyens d’aujourd’hui et de demain, c’est de savoir convaincre, ce qui implique de savoir écouter.

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La troisième compétence qui me semble faire défaut chez les jeunes citoyens, y compris ceux qui sont engagés socialement, c’est la capacité à comprendre les systèmes dans lesquels se situent leurs discussions et leurs projets. Ne serait-ce que pour vouloir remplacer ces systèmes par d’autres. Il faut commencer par les comprendre.

J’ai vu tant de jeunes proposer des projets intéressants pour changer le monde un geste à la fois. Je suis d’accord. Acheter c’est voter ! Je suis d’accord. Mais même si tous ici dans la salle achetions quotidiennement du café équitable, rien ne changera vraiment pour les petits producteurs des pays en développement si le modèle économique de l’industrie du café n’est pas foncièrement modifié. Or ce modèle s’inscrit lui-même dans un capitalisme financiarisé dans lequel les inégalités sont une composante essentielle.

Comprendre les systèmes dans lesquels s’inscrivent les enjeux qui nous intéressent ça veut dire aussi comprendre les rapports de force, les intérêts et les idéologies à l’œuvre et auxquels l’on se heurte lorsque l’on veut changer le monde. Mais aussi les mécanismes qu’il faut actionner pour qu’une idée fasse son chemin. Comprendre les systèmes oblige à développer une pensée stratégique.

Comprendre les systèmes permet aussi de se rendre compte que certains de ces systèmes sont tels qu’ils sont parce qu’ils ont constitué jusqu’à présent le meilleur compromis pour atteindre certains objectifs. On peut critiquer l’école publique et y souhaiter des changements de fond. Mais cette institution a eu et continue d’avoir des effets de redistribution essentiels à la justice sociale. Si on la change, on la remplacera par quel système qui favorisera au moins le même accès à une éducation de qualité pour tous ?

On évoque souvent le sentiment d’impuissance des citoyens devant la complexité du monde. Mais la complexité est un fait. On ne peut pas en faire abstraction. Pour agir dans une société comme citoyen soucieux des autres, bienveillant et qui conserve le goût de l’avenir, il faut être armé pour comprendre la complexité, y faire face pour réduire justement ce sentiment d’impuissance, identifier les forces adverses à l’œuvre dans les systèmes qui nous gouvernent et qui nous déterminent, mais aussi les alliances possibles pour les changer.

Le souci des autres, vouloir gagner et vaincre ensemble, comprendre les systèmes à l’œuvre et la complexité. Toutes choses exigeantes. Tel est le lot du citoyen. Il n’aura rien sans effort.

 Le numérique

Il faut bien saisir la transformation des rapports entre les citoyens individuels, et en particulier les jeunes avec qui vous travaillez, soit comme étudiants, soit comme jeunes professeurs, qui sont induites par le numérique. Le rapport au travail, le rapport à l’information, à la connaissance, au pouvoir ou le rapport au temps, ont considérablement évolué entre autre sous l’impact des nouvelles technologies de l’information et de la communication. Les gens s’inscrivent de moins en moins dans des logiques hiérarchiques et de plus en plus dans des logiques de réseau. Cela change tout. Y compris la façon d’enseigner.

Aujourd’hui, les jeunes lisent moins les journaux et s’informent de plus en plus par les nouveaux médias et largement, à travers les réseaux auxquels ils appartiennent. Désormais, on fait davantage confiance à un ami qui vous réfère un article, qu’au journaliste patenté qui vous en fera une recension. La confiance dans les pairs est une des grandes caractéristiques de la jeunesse. La socialité, les liens établis avec les amis, les camarades, constituent l’un des plus importants ferments de lien social, bien avant l’engagement politique ou professionnel.

Le rapport des jeunes au pouvoir, je l’ai évoqué plus tôt, s’est distancié. Ils se tiennent à l’écart des institutions traditionnelles. Leur rapport au pouvoir au sein des organisations où ils oeuvrent est horizontal, comme dans un réseau, et non vertical, comme dans une hiérarchie. Ils veulent être partie prenante des décisions et définir les règles du jeu.

Leur rapport au travail est décentré. Certes, ils veulent bien gagner leur vie (d’ailleurs, des études sur les valeurs des jeunes montrent en gros qu’ils partagent les mêmes valeurs que leurs aînés et en grande partie les mêmes aspirations : réussir à l’école, avoir un bon emploi, fonder une famille, avoir des amis, être heureux). Mais le travail n’est plus, comme ce fut le cas peut-être dans les générations qui ont précédé, au centre de leurs préoccupations. Cela a des impacts sur leur rapport à l’école, évidemment. Ce n’est pas pour rien que les concepts de conciliation entre le travail et la famille, le travail et les études, le travail et les loisirs et le travail et l’engagement social, ont pris autant d’importance au cours des dernières années.

Le rapport des jeunes à l’engagement sous toutes ses formes n’est pas le même qu’autrefois. Leurs engagements peuvent être tout aussi intenses mais de courte durée. Cela vaut pour la famille (on se marie de moins en moins et on divorce de plus en plus), pour la maison (on change de maison en moyenne aux cinq ans), pour l’emploi (la mobilité est une valeur recherchée, la capacité d’adaptation, la souplesse, sont des qualités appréciées des employeurs mais aussi des jeunes employés), pour le militantisme, et ainsi de suite. La loyauté est une valeur qui a perdu de son lustre. Cela a peut-être un rapport avec la persévérance scolaire.

 Les logiques de réseau changeront l’école et l’université

Il va de soi que ces logiques de réseau changent le rapport des jeunes à l’école. Aujourd’hui on peut avoir le sentiment, bien que parfois ce soit aussi une réalité, d’avoir accès à toute la connaissance du monde à travers Internet. À partir de son téléphone. Cela veut dire que désormais, la compétition est partout ! Non seulement, et peut-être d’ailleurs de moins en moins entre les institutions, puisque l’organisation de l’enseignement supérieur est orientée de plus en plus vers la complémentarité entre les établissements, mais avec toutes autres formes de dissémination de la connaissance.

Rappelez-vous que dans une logique de réseau, les jeunes s’inscrivent moins dans la durée. C’est l’un des impacts des nouvelles technologies de l’information et de la communication. On veut tout, tout de suite. Cela s’appelle l’immédiateté. Cela implique qu’un jeune peut penser qu’il pourra acquérir les connaissances dont il a besoin à travers un cours en ligne (peut-être pourrait-il être offert par cégep à distance, d’ailleurs…) en trois semaines, plutôt qu’en trois mois à venir une fois par semaine, pendant trois heures, dans une classe. Peut-être trouvera-t-il cette formation sur mesure dans une institution privée qui pourrait ne pas même être située dans sa ville ou son pays. Ni lui offrir ces compétences dans sa langue maternelle. Peu importe. C’est le résultat qui compte.

Une étude a été menée en 2010 auprès de plusieurs milliers d’élèves d’écoles secondaires privées qui montre que plus de la moitié de ces élèves, fréquentant pourtant des établissements ayant de très bonnes réputations, il n’y a plus que 45 % des élèves qui se disent motivés par leurs études, contre 77 % en 2001.

Dans les années 1990, l’éducation en ligne n’était pas une menace. La technologie était immature. L’accès aux réseaux était déficient. Le coût d’acquisition du matériel informatique était exorbitant. Ce n’est plus le cas aujourd’hui. Quels sont les avantages de ces services ? Ils ne sont pas si nombreux : le coût est abordable ; vous pouvez apprendre à votre rythme, n’importe quand dans l’année, à n’importe quelle heure du jour ou de la nuit ; vous pouvez apprendre n’importe où évitant ainsi entre autre à occuper une partie de la journée à vous déplacer ; vous pouvez adapter le parcours d’apprentissage à vos propres exigences.

Voilà autant de choses que les collèges et les universités peuvent offrir en adaptant l’organisation de l’enseignement à ces besoins non seulement exprimés par les jeunes, mais aussi par les moins jeunes, qui, contraints par leurs horaires de travail, cherchent à se perfectionner ou à apprendre un nouveau métier. Les établissements d’enseignement supérieur conservent toutefois un avantage indéniable sur tous les autres fournisseurs de services éducatifs : ils décernent les diplômes qui demeurent, quoi qu’on en disent, indispensables pour valider la qualité de la formation reçue et qui sont pour nombre de professions et de métiers, des conditions d’emploi.

Si les jeunes veulent de la souplesse, ils ont besoin également d’accompagnement. J’ai pris connaissance d’une recherche menée sur la persévérance au collégial qui montre que le facteur qui fait la différence est celui de la qualité de l’accompagnement de l’étudiant. Non seulement la qualité de l’enseignement, mais l’accueil reçu au collège, l’appui des parents, la disponibilité des enseignants ou des autres personnels pour les jeunes qui ont besoin d’aide, la valorisation du travail. Dans l’étude que j’ai citée tout à l’heure sur les élèves de l’école privée, ce sont les indicateurs liés à l’accompagnement des élèves, la qualité de la relation avec les professeurs, la disponibilité de la direction, qui sont le plus en baisse. La bonne nouvelle, c’est que les élèves ont plus confiance en eux-mêmes et en leur avenir que dix ans auparavant.

Lors de notre l’École d’hiver de l’INM « spécial Sommet », tenue en janvier 2013, en marge du Sommet de l’enseignement supérieur organisé par le gouvernement du Québec après le conflit étudiant, nous avons réuni 450 jeunes et leur avons demandé de partager leurs conceptions de l’avenir de l’enseignement supérieur. Ils ont parlé d’accessibilité bien sûr. Mais ils ont aussi parlé de qualité.

En résumé, ils ont dit que c’est dans la classe que l’essentiel se joue. La qualité de la relation avec l’enseignant et entre les pairs est soulignée à grands traits. « Le professeur est un guide qui n’impose rien et ouvre tout. » Dans la classe, on retrouve des « professeurs allumés » qui ont la passion de transmettre, qui cultivent la curiosité, le goût de savoir, qui sont disposés à accompagner les étudiants qu’ils incitent à explorer des sentiers moins fréquentés pour découvrir le monde, quitte à vivre parfois des échecs formateurs. Tous les courants de pensée sont admis. Les classes ne sont pas trop remplies. « La qualité se mesure notamment par la capacité de mettre l’apprenant au centre de son apprentissage dans la mesure où le processus est aussi important que la finalité. » Diverses modalités d’enseignement sont expérimentées, qui s’appuient sur l’échange entre les pairs, l’usage des nouvelles technologies, la créativité, la pédagogie par projets.

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L’un des messages importants à retenir, c’est que l’impact des technologies ne concernent pas seulement l’utilisation de l’ordinateur en classe, l’accès à un réseau sans fil ou l’utilisation de la tablette numérique. C’est l’ensemble des comportements des étudiants ainsi que leurs attentes face aux manières d’enseigner, de transmettre, de communiquer, de décider, de comparer, d’évaluer, qui sont influencés par la révolution numérique.

 Conclusion

Il y aurait sans doute de nombreuses autres dimensions à débattre d’une réforme de l’éducation en ce début du 21e siècle. Le monde change et l’école doit changer avec lui. Les institutions sont mortelles. Si elles n’adaptent pas leur fonctionnement aux besoins de la société qui évolue, elles meurent et sont remplacées par d’autres. Mais pouvons-nous nous permettre de laisser mourir un système éducatif comme le nôtre ? La réponse est dans la question. Il faut toutefois accepter de le transformer. Les grands systèmes bureaucratiques ont ceci d’avantageux qu’ils sont si lourds qu’ils sont indestructibles, ce qui permet de sauvegarder leurs objectifs. Mais ils deviennent difficiles à faire bouger. Pour y arriver, c’est aujourd’hui moins d’un nouveau Rapport Parent dont nous aurions besoin que d’une approche nouvelle, fondée sur l’agilité, la collaboration, le risque et l’adaptation des moyens tout en restant fidèle aux objectifs. Il faut introduire dans ces systèmes une culture et des mécanismes permanents d’innovation. C’est peut-être par là qu’il faut commencer.

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1 Le texte puise à une présentation faite dans le cadre de la table ronde tenue à Bibliothèque et Archives Canada, le 21 avril 2016, en marge du Symposium sur l’éducation et la démocratie organisé par le CIRCEM et l’INM à l’université d’Ottawa les 21 et 22 avril 2016, à une conférence prononcée au Cégep Marie-Victorin le 21 janvier 2014 au sujet des enjeux à considérer dans le prochain plan stratégique du collègue et du document de consultation et du rapport de la Commission sur l’éducation à la petite enfance réalisés à l’automne 2016 et à l’hiver 2017.

2 Blais, André et Peter Loewen, Participation électorale des jeunes au Canada, Élections Canada, janvier 2011, 30 pages ; Pammett, Jon H. et Lawrence LeDuc, Pourquoi la participation décline aux élections fédérales canadiennes : un nouveau sondage des non-votants, Élections Canada, 2003, 75 pages.

3 Baril, Geneviève, Participation électorale : L’INM propose d’instituer un rite de passage civique pour les jeunes, 10 mars 2014, INM, 12 p. (http://inm.qc.ca/blog/01-participation-electorale/)