4 septembre : la revanche des jeunes
Ce texte a d’abord paru dans la revue Options politiques le 1er octobre 2012
Depuis 15 ans, les jeunes boudent les urnes. En 2008, à peine le tiers des 18-24 ans ont voté aux élections québécoises. Cette auto-exclusion du processus électoral confinait à un suicide politique générationnel, en plus de nous préparer un cauchemar démocratique car un jeune qui ne vote pas lorsqu’il en a le droit la première fois risque de ne plus jamais voter dans sa vie. Quelle serait la légitimité démocratique d’un gouvernement élu dans un scrutin où moins de la moitié de la population irait voter ?
Le 4 septembre dernier, les Québécois sont allés aux urnes en nombre, malgré le fait que les élections ont eu lieu en plein été. Près de trois Québécois sur quatre se sont prévalus de leur droit de vote, contre 56 % en 2008. Le progrès est notable. On peut présumer que la participation des jeunes a augmenté elle aussi.
Ces élections revêtaient un caractère particulier. Elles se déroulaient dans la foulée d’un conflit étudiant et d’une crise sociale sans précédent au Québec. Ce « printemps québécois » a vu jusqu’à 300 000 personnes descendre dans les rues pour manifester contre le gouvernement, d’abord contre la hausse des droits de scolarité puis contre l’exploitation débridée des ressources naturelles et encore pour faire valoir mille griefs entretenus contre un gouvernement usé par neuf ans de pouvoir.
Armés de leurs casseroles, des citoyens ont emboîté le pas aux jeunes. On a eu plus de 100 manifestations nocturnes en autant de soirs, certaines réprimées par la police. Un nombre élevé de citoyens ont été arrêtés. Une loi spéciale a été adoptée pour limiter le droit de manifester. Elle fut dénoncée jusqu’aux Nations unies.
Le printemps québécois n’a pas été fait que d’affrontements. Il a fait apparaître au grand jour la confiance que les jeunes ont en eux-mêmes. La persévérance dont ils sont capables. L’assurance avec laquelle ils s’expriment. Le sérieux avec lequel ils ont construit et défendu une argumentation au soutien de leur cause ou à l’encontre de cette cause. La détermination avec laquelle ils ont revendiqué leur place dans la vie démocratique, dans un camp comme dans l’autre.
Ces jeunes-là détruisent le mythe du jeune cynique, désabusé et fermé aux enjeux politiques. Ils nous ont donné une leçon. Ils nous ont réveillés. J’inclus dans ce groupe les jeunes portant le carré rouge autant que ceux qui, portant le carré vert, ou pas de carré du tout, ont eux aussi participé au débat en affirmant leur appui à la position gouvernementale ou en battant, en assemblées générales, des votes de grève.
Ces jeunes constituent la génération la plus scolarisée de l’histoire du Québec. Ils comprennent la mondialisation. Ils sont nés avec les nouvelles technologies. Ils sont créatifs. Ils veulent prendre les rênes du monde sans attendre. Le développement durable est leur idéologie commune. Ils prônent un humanisme responsable. L’éducation est leur priorité. Ils sont épris de justice.
Et ils ont gagné.
Le gouvernement qu’ils ont combattu a été défait aux élections. Certes, il a récolté tout de même 31 % des suffrages exprimés et fait élire 50 députés, contre à peine 54 pour le Parti québécois qui, minoritaire, forme le nouveau gouvernement. La Coalition Avenir Québec a 19 députés et la formation de gauche Québec solidaire, 2. Mais au total, les deux tiers des Québécois ont voté contre les libéraux de Jean Charest. La démission de celui-ci comme chef du parti, dès le lendemain du scrutin, agira comme facteur d’apaisement, lui que plusieurs estiment être le grand responsable de la crise printanière à cause de son refus du dialogue. En soi, c’est un premier élément de victoire pour les étudiants.
Mais surtout, la nouvelle première ministre Pauline Marois a annoncé, dès la première réunion de son conseil des ministres, l’abolition de la hausse des droits de scolarité qui avait déclenché le conflit. Elle a également abrogé par décret les dispositions de la loi spéciale qui limitaient le droit de manifester. Elle annonce la tenue d’un Sommet pour discuter du financement des universités. Et l’un des trois principaux porte-parole des étudiants pendant les grèves, Léo Bureau-Blouin, ancien président de la Fédération étudiante collégiale du Québec, élu député dans Laval-des-rapides, est devenu son adjoint parlementaire sur les dossiers jeunesse. Déjà, il propose la création d’un Conseil des générations pour nourrir le dialogue et conseiller le gouvernement.
Le Parti québécois donne aussi raison aux jeunes sur l’idée, simple, que la démocratie ne se limite pas aux élections. Elle a nommé l’un de ses députés les plus connus, Bernard Drainville, ministre responsable des institutions démocratiques et de la « participation citoyenne », mot nouveau dans le vocabulaire gouvernemental, qui reprend toutefois les revendications des jeunes pour un renouveau démocratique.
Enfin, les premières décisions de Pauline Marois font écho à une autre obsession des jeunes : le développement durable. Elle nomme un écologiste notoire à l’Environnement et une autre aux Ressources naturelles. Elle annonce la fermeture définitive d’une centrale nucléaire et la rupture d’une entente avec une minière pour la relance d’une mine d’amiante. Cette gouvernance verte semble même reléguer au second plan la gouvernance souverainiste, plus difficile dans un contexte minoritaire.
Ces élections représentent une sorte de revanche pour les jeunes qui ont bousculé le Québec. Les orientations mises de l’avant par la nouvelle première ministre résisteront-elles au statut minoritaire de son gouvernement ? Les mois qui viennent nous le diront. Il est certain, cependant, que l’on ne pourra plus jamais sous-estimer la force des nouveaux mouvements sociaux qui sont à l’œuvre.