L’ère du soupçon
Ce texte a d’abord paru dans Le Devoir du 29 mars 2014
Nous n’avons jamais eu autant de codes d’éthique, de commissaires au lobbyisme, de commissions d’enquête et de polices anti-corruption qu’aujourd’hui. Ces garde-fous ne nous empêchent pourtant pas d’entretenir autant sinon plus de soupçon envers la classe politique qu’autrefois.
On oublie que le soupçon est inhérent à la vie démocratique. De tout temps, les citoyens se sont méfiés des gouvernants et c’est pour cette raison que les systèmes politiques sont construits comme un jeu d’équilibre entre pouvoirs et contre-pouvoirs.
Cet équilibre sert à contenir la puissance de l’État et à prévenir les abus parce que l’on présume que les gouvernants se laisseront guider par leur intérêt particulier ou que, s’ils sont intègres, se laisseront influencer par ce pouvoir qui corrompt.
L’antidote au soupçon ne réside pas dans l’éthique. Il se trouve dans les mécanismes qui limitent l’exercice du pouvoir des élus, assurent la transparence de leurs actions (et non pas de leur vie privée), permettent des recours lorsque l’on se croit lésé ou forcent les gouvernants à consulter les citoyens entre les élections.
Ce n’est pas en ajoutant des contraintes, déjà nombreuses, au financement des partis et aux nominations partisanes ou en divulguant les actifs des chefs que l’on y changera quelque chose. Un adage veut que plus on parle d’éthique moins on la pratique.
Certes, le Québec est à l’heure de faire le ménage dans les rapports entre financement politique et contrats publics. C’est déjà commencé. Il faut se garder, par l’adoption de mesures frôlant l’intégrisme, de tuer la vie politique et la volonté d’engagement.
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Historiquement, l’élection au suffrage universel, la notion de service public et la concertation des acteurs sociaux ont servi à légitimer les décisions publiques, bref, à créer de la confiance. Depuis plus de 30 ans, ces trois modalités ont été fortement ébranlées.
La légitimation par les urnes a reculé à cause du déclin de la participation électorale. Le pouvoir normatif de l’Administration publique, censée être gardienne de l’intérêt général, désintéressée et bienveillante, s’est effrité sous les coups de boutoir de la Nouvelle Gestion publique inspirée du néolibéralisme ambiant. L’arbitrage entre les grands groupes d’intérêt par la concertation a perdu de son lustre au fur et à mesure que plusieurs groupes sociaux s’en sont sentis exclus ; aujourd’hui, le pouvoir des lobbies, que l’on cherche à encadrer par des lois, est dénoncé comme l’expression d’une nouvelle aristocratie.
Pour remplacer les anciens modes de légitimation, on a conçu des mécanismes qui prennent de plus en plus d’importance.
Des autorités indépendantes de surveillance et d’arbitrage comme l’Autorité des marchés financiers ou le Bureau d’audiences publiques sur l’environnement, le Vérificateur général ou le nouvel Inspecteur général de Montréal, sont chargés de veiller pour nous, en toute impartialité, sur la qualité des décisions publiques.
Les cours constitutionnelles jouent également un rôle grandissant, veillant à ce que les droits et libertés soient protégés contre les actions législatives abusives.
Enfin, la vie démocratique s’élargit heureusement au-delà de la sphère électorale et parlementaire. C’est ici que les progrès les plus grands peuvent encore être accomplis.
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Si l’on veut accroître la confiance de la population envers la politique, il faut créer les conditions d’un partage de pouvoir avec les citoyens qui agiront eux-mêmes comme chiens de garde mais aussi comme participants de plein droit à la confection des politiques publiques.
Avant tout, il faut une presse libre et diversifiée, une société civile forte et pluraliste, des systèmes de recherche et d’enseignement autonomes, dotés de ressources suffisantes pour éclairer la société et disséminer le savoir.
Mais la société aura d’autant plus confiance dans ses institutions que le plus grand nombre de citoyens s’y engagent. L’institut que je dirige a proposé, en début de cette campagne, une série de réformes à cette fin incluant le vote à 16 ans assorti d’un cours obligatoire d’éducation à la citoyenneté et d’un rite de passage civique à l’école secondaire, le vote obligatoire et un mode de scrutin proportionnel pour que chaque vote compte.
C’est la base. Le soupçon envers les politiciens ne disparaîtra pas. Mais la confiance dans la politique sera plus grande si l’on sait que le pouvoir ne peut être confisqué par personne.