Le rapport Castonguay : Un appel à renouveler le système public de santé
Ce texte a été écrit à mon titre de vice-président du Groupe de travail sur le financement du système de santé pour la revue Gestion Santé, en mai 2008.
Le Groupe de travail sur le financement du système de santé a été mis en place à l’occasion du Discours sur le budget du 24 mai 2007. Présidé par M. Claude Castonguay, celui-ci était formé également de deux vice-présidents, Mme Joanne Marcotte et le signataire de ces lignes.
Comme nous l’avons mis en évidence dans l’introduction du rapport, rendu public en février dernier, « le Groupe de travail considère que le Québec doit assurer la pérennité du système public de santé ». Il s’agit là de l’objectif principal et explicite de la démarche.
Cet objectif doit être atteint en augmentant la productivité du système qui, à l’heure actuelle, est à la fois parmi les plus coûteux, en fonction de notre richesse collective, et les moins productifs du monde industrialisé.
Le rapport du Groupe de travail mise clairement sur la capacité du système public de poursuivre ses réformes et de satisfaire les besoins de la population. Il contient les éléments qui permettraient au système d’avoir les moyens de ses ambitions, par le biais d’un financement stable et durable, tout en lui imposant une discipline budgétaire essentielle pour éviter une escalade des coûts.
Le rapport du Groupe de travail est un appel à un nouveau contrat social autour des principes fondamentaux de notre système de santé. Celui-ci est l’expression la plus importante de la solidarité qui unit tous les citoyens afin de répondre collectivement à un des besoins de base de tout être humain. Ce système, financé principalement par l’impôt, constitue un extraordinaire mécanisme de partage du risque et de la richesse. Il importe de se le rappeler et de se remettre d’accord collectivement sur l’importance qui doit lui être accordée.
Un plan d’action
Le Groupe de travail propose un plan d’action à la fois exigeant et réaliste qui comporte d’abord l’obligation de se fixer une limite : la croissance des dépenses de santé doit, à terme, être limitée au taux de croissance de la richesse collective, soit le rythme de croissance de notre économie. Cette limite représente notre capacité collective de payer. Pour atteindre cet objectif, le Groupe de travail insiste pour que l’on se donne du temps : un horizon de cinq à sept ans nous paraît réaliste.
Pour y arriver, il faut agir autant sur les dépenses que sur les revenus.
- Il faudra d’abord consentir à dépenser davantage en investissant dans des secteurs clés comme la prévention, les services médicaux de première ligne, le suivi et la prise en charge des malades chroniques, le maintien à domicile des personnes âgées et l’utilisation optimale des médicaments. Il s’agit de maintenir le plus longtemps possible les patients loin de l’hôpital et d’encourager les réformes qui consistent à confier à des infirmières ou à d’autres professionnels de la santé ou des services sociaux la prise en charge des malades dans des cliniques de santé adaptées aux différents milieux. Le Groupe de travail encourage, à cet égard, la constitution de coopératives de santé. Pour favoriser le déploiement de ces cliniques de santé multidisciplinaires, nous avons recommandé de permettre aux cliniques de percevoir auprès des patients inscrits, et ce sur une base volontaire, une cotisation annuelle d’au plus 100 $, garantissant à ceux-ci des services en temps opportun. Les enfants et les personnes à faible revenu en auraient été exemptés.
- La deuxième partie du plan d’action comporte des mesures pour améliorer la productivité du système. Nous recommandons de modifier la gouverne du système de santé afin de circonscrire le rôle du ministère à ses fonctions primordiales de planification. Nous recommandons la création d’un Institut national d’excellence en santé (INES) dont le rôle serait d’établir, en s’appuyant sur les connaissances scientifiques et la délibération publique, l’étendue des services assurés. Il aurait aussi pour tâche d’établir des protocoles de soins afin que seules les meilleures pratiques soient mises en œuvre sur le plan médical. Nous misons sur l’autonomie locale des établissements et sur l’établissement de relations contractuelles entre les fournisseurs de soins et les agences régionales. Ces contrats devraient établir des objectifs à atteindre et accorder aux gestionnaires locaux une souplesse qui leur fait défaut à l’heure actuelle. Les établissements et les cliniques de santé devraient être financés en fonction des services réellement donnés et non plus, comme c’est encore largement le cas, sur une base historique. L’informatisation des dossiers médicaux doit être complétée. L’organisation du travail devrait devenir une priorité au sein du système de soins. Et un programme permanent d’évaluation de la performance clinique et financière du système devrait être mis en place.
- Enfin, pour soutenir ce plan d’action, le gouvernement devra donner au système public de santé des revenus durables et divesifiés. La population doit admettre que la santé a un coût. L’un des mandats explicites confiés au Groupe de travail consistait à identifier de nouvelles sources de revenus. Nous l’avons fait en proposant de créer un Fonds de stabilisation dédié à la santé dans lequel seraient versés d’une part le produit d’un point de taxe de vente du Québec et, d’autre part, le produit d’une franchise payée par chaque contribuable sur son rapport d’impôt et calculée en fonction de son utilisation des services médicaux durant l’année précédente et de sa capacité de payer, les plus démunis étant exemptés. Cette formule permettait d’introduire la notion de responsabilité individuelle dans le financement du système de santé. Le Groupe de travail s’est toutefois opposé unanimement aux modalités de financement qui constituent des obstacles à l’obtention des soins : il s’oppose aux tickets modérateurs et recommande l’abolition des frais accessoires.
Tôt ou tard, de nouvelles sources de revenu
Le gouvernement a rejeté du revers de la main toutes nos propositions relatives aux sources de revenu. Cette réaction a pu paraître étonnante puisque le mandat du Groupe de travail prévoit explicitement que nous devions « proposer au gouvernement des sources additionnelles de financement ». Le jour même de la publication du rapport, le ministre de la Santé et des Servivces sociaux, M. Philippe Couillard, a dit refuser d’augmenter le fardeau fiscal des Québécois.
Nous avons cependant établi, et ce en exluant volontairement les scénarios catastrophistes, que les revenus actuels ne suffiront pas à terme. Les gains de productivité ne permettront pas non plus à eux seuls de dégager des marges de manœuvre suffisantes. Je prédis que cette question reviendra hanter le débat public dans trois ou quatre ans.
Les solutions alternatives ne sont pas nombreuses.
Si l’on n’élargit pas l’éventail des sources de revenus et que l’on refuse d’augmenter le fardeau fiscal des Québécois, il est probable que le budget de la santé et des services sociaux va accroître son poids dans le budget du gouvernement et empiéter encore davantage sur les autres missions de l’État. Il est clair que le système de santé n’est pas équitable si la part qu’il occupe dans les dépenses publiques compromet la capacité de l’État d’offrir à tous l’accès à l’éducation, de combattre la pauvreté ou de protéger l’environnement.
Nous avons déjà souligné l’importance de la prévention. Or la prévention doit être comprise dans un sens plus large que ce à quoi nous sommes habitués. La prévention commence par l’éducation et le développement des enfants. Elle se continue dans le développement des communautés locales et dans la lutte contre la pauvreté. La part des finances publiques consacrées au système de soins ne peut pas croître sans restrictions si l’effet de cette croissance est de restreindre nos efforts dans ces domaines clés pour notre avenir collectif. Une société qui fabrique des malades ne se rachète pas toujours en offrant des soins gratuits.
L’autre façon de procéder serait d’imposer au système des compressions budgétaires draconiennes. Or nous vivons encore les conséquences de celles pratiquées durant les années 1990 sous le double impact des coupes fédérales et de la poursuite du déficit zéro. Cette option n’est pas tenable.
Le rôle du privé
L’autre option serait de privatiser encore davantage le financement de la santé. Or ce n’est pas l’option privilégiée par le Groupe de travail. Il faut voir que 28 % des dépenses de santé sont déjà privatisées au Québec, prenant la forme notamment d’assurances complémentaires et de contributions directes chez le dentiste, l’optométriste ou le psychologue. Il s’agit de l’un des taux de dépenses privées les plus élevés au monde.
À ce sujet, le Groupe n’a d’ailleurs pas été en mesure d’atteindre l’unanimité. J’ai rédigé une dissidence sur trois points précis du rapport. Je me suis opposé à l’opportunité de permettre aux médecins d’exercer à la fois dans le système privé et le système public ainsi qu’à une ouverture plus grande à l’assurance privée duplicative. J’ai aussi exprimé mon désaccord avec l’idée de confier à des firmes privées la gestion des prochains hôpitaux à être construits au Québec.
Ma dissidence est loin d’être une objection de principe au secteur privé. Au contraire, celui-ci joue déjà un rôle dans notre système et ce qui doit être fait est d’apprendre à travailler avec lui, dans le cadre de règles contractuelles plus claires, de lui imposer de rendre des comptes et d’évaluer ses effets à moyen terme. À ce sujet, d’ailleurs, le Groupe de travail est unanime. Mais je ne crois pas qu’il soit opportun, à l’heure actuelle, d’élargir la place du privé. D’ailleurs, les recommandations du rapport avec lesquelles je suis en désaccord prévoient des balises qui restreindraient cette ouverture.
Le Groupe de travail est d’ailleurs très clair et unanime à dire que « l’apport du secteur privé doit être considéré comme complémentaire ». En deux mots, l’extension du rôle du privé n’est pas la solution pour notre système de soins. Le privé n’est pas non plus son principal problème.
Mobiliser la société et les intervenants
C’est pourquoi le rapport Castonguay est avant toute chose un appel à reconstruire autour de notre système public universel un nouveau contrat social.
Le débat public qui a suivi sa publication n’a pas donné lieu à une mobilisation en ce sens. Certes, le ministre de la Santé a annoncé la création de cinq chantiers de travail au sein de son ministère pour mettre en œuvre certaines de nos recommandations. Mais cela n’a pas permis de mobiliser la société autour d’un objectif commun. Dans les semaines qui ont suivi la publication du rapport, les différents groupes d’intérêt ont remis de l’avant leurs revendications et les pressions en faveur d’un rôle plus important pour le privé ont repris.
Tout n’est pas perdu et les écrits restent. Le rapport est là. Ses recommandations sont toujours valables. Il appartient aux différents intervenants du système de santé et de la société civile de se les approprier et de les faire triompher.