La société civile se réinvente

Ce texte a d’abord paru dans Nousblogue.ca le 26 juin 2015

Les temps présents sont faits d’incertitude pour la société civile. Mais celle-ci est toujours bien vivante. Elle se réorganise, se renomme, se réinvente. Elle conserve tout son potentiel de transformation et d’innovation. Elle demeure, avec l’État et le marché, l’indispensable troisième pilier du vivre-ensemble. Comme la troisième patte d’un tabouret en équilibre.

Mais la société civile n’est plus tout à fait ce qu’elle était. D’anciens mouvements, qui ont changé le monde, partagent désormais l’espace d’engagement, et ce depuis déjà un certain temps, avec de nouveaux mouvements sociaux, du féminisme à l’environnementalisme, qui ouvrent de nouveaux horizons de changement ou de protection.

La coopération internationale, la réconciliation avec les nations autochtones, la lutte au racisme ou à l’homophobie, mobilisent et influencent les rapports sociaux autant que le syndicalisme ou l’action partisane. L’économie sociale et solidaire, dans la foulée du mouvement coopératif, contribue à structurer le développement local endogène et en partie l’organisation communautaire.

De la pyramide au réseau

On sait bien, et l’existence de ce blogue en témoigne, que les nouvelles technologies brouillent les relations entre les citoyens et l’implication sociale. Autant les printemps arabes ont misé sur les médias sociaux pour se déployer, autant les campagnes d’incitation à voter aux élections, les « #manifencours » et autres #vidéosdénonciatrices, changent la communication politique et sociale.

Mais au-delà, c’est la relation même à l’engagement qui évolue.

Les anciennes organisations étaient hiérarchiques et pyramidales. Aujourd’hui, les plus jeunes générations en particulier (et celles qui ont précédé mais qui se laissent entraînées avec joie par leurs enfants), préfèrent les logiques de réseau où les relations sont égalitaires et horizontales. Cela se répercute dans l’organisation de la société civile.

J’ai en tête quelques exemples d’organisations qui appartiennent à cette nouvelle catégorie et desquelles je suis proche. À commencer par celle que je dirige, l’Institut du Nouveau Monde (INM), dont les interventions (que ce soient nos Écoles d’été, nos conversations publiques ou autres processus participatifs) misent sur la collaboration, l’égalité dans la participation, le dialogue et le croisement des savoirs.

Je participe aussi au Réseau québécois en innovation sociale (RQIS) dont le fonctionnement en communauté d’intérêt mise sur la contribution de chaque membre à la hauteur de sa disponibilité, dans un contexte de partage et d’ouverture.

Des espaces collaboratifs

Vendredi 19 juin a été lancé à Montréal L’Esplanade, un espace collaboratif voué à l’entrepreneuriat mis au service de l’innovation sociale dont le fondement est une communauté de gens désireux de trouver des solutions à des problématiques sociales non résolues à travers la création d’entreprises. L’Esplanade est au cœur d’un écosystème de soutien à l’accélération des projets, en plus d’être un lieu physique où s’installent des innovateurs sociaux motivés.

Après avoir tenu, l’an dernier, deux rendez-vous nationaux sur l’avenir du système public de santé et de services sociaux, l’AQESSS (abolie ensuite par le ministre Barrette) et la CSN ont souhaité la création d’une communauté de pratique pour poursuivre les échanges entre les différents acteurs du système en vue de favoriser la mise en œuvre des meilleures solutions aux problèmes identifiés pour mieux servir la population.

Après avoir imaginé Montréal en novembre dernier, dans le cadre de l’événement Jevoismtl, une communauté de leaders de projets est en train de se constituer autour de la plateforme Faire Montréal, lancée le 17 juin.

Voilà de nouvelles formes de mobilisation citoyenne qui unissent et mettent en mouvement non seulement les suspects habituels mais des individus et des organisations provenant de tous horizons. Les mots clés sont « communauté », « collaboration », « innovation sociale », « entrepreneuriat », « co-construction ».

À travers ces transformations filtre le paradigme du développement durable puisque l’on retrouve dans ces expériences une volonté de réconciliation entre le social, l’économique, l’environnement et la culture, y compris dans des « modèles d’affaires » adaptés à la réalité sociale.

Je constate toutefois à travers ces expériences auxquelles je participe, une certaine volonté de s’émanciper du/de la politique. Comme si l’on croyait possible de changer le monde sans passer par les institutions, sans mobiliser les moyens et les attributs de l’État afin d’assurer l’égalité, la liberté, la sécurité et le bonheur pour tous.

Je reviens au tabouret : il tombe sans la société civile. Il tombe aussi sans le marché ou sans l’État.

L’époque actuelle nous invite à revoir nos modèles. Dans le cadre de cette réflexion, il faut voir ce qui émerge déjà. Qu’on le veuille ou non, c’est à partir de cette émergence que l’avenir sera construit.