Madame Marois, appuyez-vous sur nous !
Ce texte a d’abord paru dans Le Devoir le 8 septembre 2012
Madame la première ministre,
L’Assemblée nationale compte peut-être seulement 54 députés élus sous la bannière de votre parti. Votre gouvernement est certes minoritaire. Mais nous sommes huit millions de citoyens pouvant agir, pour peu que vous nous le demandiez.
L’unité se fait dans l’action. Et le Québec, aujourd’hui, a besoin de se rassembler.
Vous n’avez pas les mains attachées. Vous détenez la légitimité du pouvoir. Il y a parmi nous d’irréductibles adversaires de votre politique mais la majorité veut le bien et ne demande pas mieux que d’être mobilisée pour l’atteindre.
Plusieurs de vos propositions recueillent l’appui du public et les autres partis les soutiendront à l’Assemblée nationale. Mais au-delà, vous trouverez des alliés dans la société, parmi les organisations mais surtout auprès des citoyens eux-mêmes, à qui je vous invite à vous adresser directement le plus souvent possible.
La population est sortie blessée de la récente période politique. La tolérance apparente à la corruption, les effets de la crise économique et financière mondiale, l’élargissement des inégalités encouragée par des politiques fiscales et tarifaires régressives, le conflit étudiant et le refus du dialogue qui a entraîné une crise sociale sans précédent, tout cela a exacerbé les tensions entre nous.
Cela a cependant fait renaître également le désir d’espérer. Le peuple a besoin de réconfort et d’encouragement. Ne vous laissez pas entraîner dans les petites batailles partisanes. Restez au-dessus de ce jeu. Soyez celle qui redonnera confiance et envie d’agir. Je suis persuadé que vous le pouvez. Vous le devez.
Les élections sont un moyen commode de désignation de nos gouvernants. Mais parce qu’elles prennent la forme d’un combat et non celle d’une délibération, plutôt que de produire de l’intelligence collective, elles font apparaître les divisions. Voilà pourquoi il est nécessaire de reconnaître et d’établir d’autres mécanismes de formation des consensus sur les buts à poursuivre et les actions à mettre en œuvre.
Qu’ils soient des sommets ou des consultations, ces processus prennent place entre les élections. Ils vous seront d’un grand secours pour surmonter les blocages prévisibles à l’Assemblée nationale ou pour réorienter des programmes comme le Plan Nord, la politique énergétique, l’avenir de nos universités ou la rédaction d’une constitution québécoise.
N’écartez pas les questions sensibles. Les débats sur la langue et sur la laïcité doivent être faits. Évitez la méthode matamore. Acceptez d’avance la possibilité que les discussions aboutissent à des compromis. Que la sagesse prédomine. Nous sommes une nation pluraliste qui chérit les libertés fondamentales.
Madame la première ministre (j’aime l’écrire au féminin), au-delà de ces processus délibératifs, où domine la parole, les citoyens veulent et peuvent agir et assumer des responsabilités. Ils ont des idées. Ils savent s’allier les uns aux autres pour revitaliser un village. Ils prennent des risques en lançant des entreprises. J’ose vous suggérer de tabler sur cette volonté disponible, de canaliser l’énergie citoyenne et entrepreneuriale des Québécois, pour transcender les divisions exprimées dans les urnes.
À défaut de pouvoir vous appuyer sur une majorité en Chambre, appuyez-vous sur nous ! Faites-nous confiance !
Interpelez vos concitoyens. Invitez-les à se mettre en mouvement. Votre rôle consiste à formuler les objectifs que nous avons en commun puis à créer les conditions de réussite.
Les mauvaises nouvelles s’accumulent sur le plan économique. Prévoyez des mesures qui misent sur l’entrepreneuriat traditionnel comme sur l’entrepreneuriat social. Soutenez l’économie verte. Harnachez les projets d’infrastructures pour des buts progressistes. Sachez attirer les investissements privés. Soutenez les initiatives d’innovation sociale et technologique. Valorisez le savoir de nos chercheurs et le rôle de la culture dans le développement durable du Québec. Agissez comme un accélérant de bons coups.
N’annoncez pas un « plan Marois ». Annoncez un « plan Québec » dans lequel chacun doit mettre l’épaule à la roue, à petite et grande échelle, et où l’invention et la créativité seront reconnues et appuyées. Appelez-nous à l’action et mettez en place les structures d’accompagnement pour que les choses bougent et que l’énergie soit transformée en projets constructifs.
Nous sommes prêts.