Les tartes
Ce texte a paru le 19 décembre 2005 dans Le Devoir
J’ai encore de la farine dans les lunettes. Les tartes sont au four… Les recettes de ma belle-mère qui nous a quittés il y a 12 ans déjà et dont j’ai pris la relève pour la cuisine du temps des fêtes. Aux dattes, aux raisins et la fameuse tarte à Cordélie: un rang de flocons d’avoine, un rang de cassonade, un rang de noix de coco râpée et une boîte de lait concentré, dans un fond de tarte sans dessus; 45 minutes au four jusqu’à ce que la noix de coco soit dorée. Ça sent dans toute la maison! Servez tiède avec une boule de crème glacée Lamothe et frères, de Drummondville, si vous en trouvez.
Ce n’est pas que je veuille faire concurrence à Liza Frulla et à sa sauce à spaghettis… Je ne vous parle même pas de mon gâteau aux fruits. Mais j’avais les mains dans la pâte en construisant mentalement cette chronique sans aucune envie de revenir sur les événements politiques de cette fin d’année à la fois tumultueuse et déprimante. L’atmosphère des fêtes de fin d’année me rend insupportable le gouffre qui sépare nos chefs politiques et la société réelle qu’ils gouvernent.
J’ai passé l’après-midi de ce dimanche gris aux fourneaux à refaire, comme tous les ans, les mêmes gestes appris de ma mère, d’une tante, d’une belle-mère ou d’une ancienne colocataire, sous les yeux gourmands de mes deux ados. Une tradition que je vais bien sûr leur transmettre quand ils en auront l’âge.
Et je pensais à ces petites choses qui contribuent à ce qu’une société se perpétue. À Noël, je mangerai la tourtière de ma mère. Elle me la sert avec «un peu de tout»: son ragoût de patte, son pâté au poulet, ses patates pilées et des petits pois. Vous savez à quoi je pense: ce goût de l’enfance qui vous remonte au cerveau en passant par les papilles gustatives. En soirée, on regardera C.R.A.Z.Y. en famille. On partagera quelques blagues grivoises et on parlera politique. Parce que la politique fait partie de la vie.
Un instant: une fournée à sortir. Et le sapin décoré par Dominique et Béatrice vient de s’illuminer. Frank Sinatra chante Sainte Nuit.
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La politique, dis-je, fait partie de la vie. Du moins elle le devrait. Parce que la politique, c’est l’ensemble des choses que nous faisons ensemble, dans une société, pour régler les problèmes qui nous dépassent comme individus et mettre en oeuvre les politiques pour que chacun puisse réaliser ses aspirations. La politique, c’est nous.
Or la politique s’éloigne tant de nous. Le débat des chefs fédéraux, par exemple: une platitude incommensurable. Des chefs empesés. À côté d’eux, le drabe John Turner, que l’on a revu en archives, paraissait un tribun passionné qui vous donnait des frissons! Êtes-vous aussi de ceux qui s’ennuient de Robert Bourassa qui avait, quoi qu’on dise et quoi qu’on fasse… une certaine allure de chef d’État. La comparaison, en tout cas, lui est très favorable.
Paul Martin, lui, est devenu insupportable. Non seulement avec ses «Canadiens-Canadiennes» nasillards, mais sa manière de se draper dans la Charte des droits et libertés, la main sur le coeur, et la larme au coin de l’oeil, fait pitié à voir. Chaque position libérale se confond, dans sa bouche, avec la Vertu et la Vérité. Dieu est sans doute libéral. Quoique: est-il pour les mariages homosexuels? Paul Martin, en tout cas, est pour. Pas parce que, comme citoyen, il croit juste et bon de reconnaître les unions homosexuelles. Non, c’est parce que… la Charte, mesdames et messieurs.
Pourtant, lorsque Jean Chrétien a fait savoir qu’il proposerait de modifier la définition légale du mariage pour faire droit aux unions homosexuelles, Paul Martin prêtait privément une oreille attentive à l’union civile, comme en France. La position de Stephen Harper.
C’est comme au sujet du protocole de Kyoto. Avant d’être premier ministre, il trouvait le plan d’action canadien trop sévère pour nos entreprises. C’est pareil au sujet des services de garde: les voici après 12 ans de promesses non tenues. Au sujet du modèle canadien de multiculturalisme: 50 % des citoyens de la deuxième province la plus populeuse du Canada veulent créer un pays indépendant; le taux d’assimilation des francophones hors Québec est galopant; des Amérindiens vivent dans des réserves, notre Apartheid intérieur, sans eau courante ni électricité en 2005; le taux de chômage chez les jeunes issus de l’immigration est honteusement supérieur à celui des pure laine. C’est pendant que Paul Martin était ministre des Finances que la pauvreté des enfants s’est accrue et que la médecine à deux vitesses a connu un essor.
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Les réjouissances du temps des fêtes sont une excellente occasion de méditer sur la politique. À la faveur des retrouvailles, demandez-vous donc ce que vous attendez d’elle. Moi, j’attends d’elle qu’elle nous permette de retrouver comment solidifier nos communautés, refaire le lien social, redécouvrir nos idéaux communs.
De nos hommes et femmes politiques, on ne veut pas de voeux de Noël dégoulinant de clichés. On veut des politiques publiques qui nous aident à vivre. Or prenez le saccage des CPE: une honte. Imposé par loi spéciale, en plus. J’ai aussi une pensée pour tous les fonctionnaires qui gagnent 29 000 $ par année pour du travail essentiel mais qui passent pour des gras durs.
Allez, bon Noël quand même! Et ne ratez pas l’occasion de vous mettre en joualvert. La colère est saine lorsqu’elle fait agir.