Le prisme des inégalités

Ce texte a d’abord paru dans Nousblogue.ca le 23 septembre 2015

Au-delà des réformes de structures, dont nous avons beaucoup discuté dans ce blogue depuis quelques mois, et pour cause, comment faut-il orienter désormais le développement collectif, les politiques publiques et l’action de la société civile ? À partir de quelle grille d’analyse trouverons-nous les arguments les plus percutants pour soutenir ce mouvement ?

J’ai découvert au cours des dernières années comment la question des inégalités, économiques et sociales, permettait d’aborder un ensemble d’enjeux reliés les uns aux autres et de rendre explicite la responsabilité de chaque personne, de chaque groupe social et de l’ensemble de la communauté politique pour améliorer le sort de l’ensemble de la population et promouvoir le bien commun.

Nous avons documenté les liens qui existent entre participation politique et inégalités. Nous savons que les sociétés les plus inégalitaires sont en même temps celles où la participation politique est la plus faible. À l’inverse, les sociétés où la participation politique (et sociale) est la plus intense, les écarts sont moins grands, les politiques publiques étant plus aptes à les réduire[1].

Tout le monde est concerné

Les travaux que nous avons menés depuis trois ans à l’INM montrent que les inégalités nuisent à tout le monde, les riches comme les pauvres, les urbains comme les ruraux, les hommes comme les femmes, les jeunes autant que les vieux. Tout le monde peut, et doit, se sentir concerné. Il y a un consensus international sur les effets néfastes de la croissance des inégalités au niveau de la qualité de vie, de la prospérité et de la démocratie au sein des sociétés.

L’on sait que des écarts importants de richesse nuisent à toute la société. La réduction des inégalités contribue à la prospérité d’une nation. Un jury de citoyens que nous avons animé dans le cadre de l’opération Je vois Montréal, a conclu que l’une des dimensions de la prospérité d’une ville consiste à réduire les inégalités économiques et sociales[2]. Or il n’y a pas de prospérité sans partage de la richesse, sans l’accès à l’éducation pour tous, sans un filet de protection sociale universel, sans une fiscalité juste.

Un sondage que nous avons commandé en 2014, montre un fort appui des Québécois à la réduction des inégalités (trois Québécois sur quatre le souhaitent)[3].

Mesurer les effets des politiques publiques sur les inégalités

De même, les Québécois veulent que l’État mesure l’effet des politiques publiques sur les inégalités : 73 % des personnes consultées considèrent que lorsque les gouvernements mettent en place, modifient ou abolissent des programmes sociaux ou des services publics, ils devraient publier des études d’impacts quant aux effets de ces changements sur l’évolution des inégalités de revenus.

Un collectif de fondations philanthropiques, dont la Fondation Lucie et André Chagnon, a fait sienne cette demande que l’État mesure l’effet de ses politiques sur les inégalités. Une demi-journée de réflexion, animée par l’INM, a permis, en avril dernier, de faire avancer la discussion à ce sujet[4].

De son côté, l’INM a développé une méthodologie et l’a appliquée aux budgets provincial et fédéral 2015 afin de mesurer l’effet de ces budgets sur les inégalités. Dans les deux cas, l’effet est négatif[5] ; globalement les mesures qui y sont contenues contribueront à élargir les écarts entre les riches et les pauvres, entre les riches et la classe moyenne ou entre la classe moyenne et les plus pauvres de la société. Nous allons dans la mauvaise direction.

Nous ne sommes pas impuissants

Le 30 septembre prochain, l’INM publiera un ouvrage intitulé : Les inégalités, un choix de société ?, qui brossera un tableau complet des apprentissages que nous avons faits depuis la parution, en 2011, dans L’état du Québec, d’un dossier démontrant que, malgré les efforts réels qui ont été faits, les inégalités augmentaient au Québec également. Il fera état de la perception qu’en ont les citoyens, des mythes entretenus à leur endroit dans notre société et des leviers à notre disposition pour les réduire.

Si les inégalités sont le résultat de nos choix, cela veut dire que nous pouvons les réduire. Elles ne sont pas une fatalité. Nous ne sommes pas impuissants.

Des six ateliers délibératifs portant sur les leviers permettant de réduire les inégalités, l’instauration d’un revenu minimum garanti, une fiscalité plus progressive, la lutte aux paradis fiscaux et le soutien à l’action citoyenne ont été cités comme mesures prioritaires. La transparence, la cohésion sociale, l’universalité des services publics (notamment l’accès à l’éducation et aux services sociaux et de santé), le respect de la dignité des individus et de leurs droits, l’inclusion sociale, la couverture des besoins de base, la protection des plus démunis et des personnes vulnérables, la reddition de compte de la classe politique et des entreprises sont autant de valeurs et principes qui ont été soulignés.

Les politiques publiques et fiscales sont cruciales pour réduire les inégalités. L’action citoyenne, le développement local, la responsabilité sociale des entreprises, l’investissement responsable, le syndicalisme et bien d’autres actions de la société civile le sont tout autant.

On sous-estime les inégalités

Seulement 22 % des Québécois sont prêts à payer plus d’impôt pour réduire les inégalités, révèle toutefois notre sondage. Et nous avons observé une disparité dans la perception du problème entre les classes sociales : 66 % à 78 % de ceux qui gagnent moins de 100 000 $ appuient la réduction des inégalités contre 50 % seulement pour les revenus supérieurs.

Il faut dire, comme le révèle une enquête menée par l’Institut Broadbent (dont les résultats pour le Québec seront aussi dévoilés le 30 septembre, lors de l’Assemblée générale de l’INM, à l’occasion du lancement d’une vidéo interpellant les partis politiques fédéraux en campagne électorale), que les Québécois, ainsi que les Canadiens, sous-estiment les inégalités de richesse dans leur pays.

Plusieurs mythes non fondés empiriquement perpétuent cette perception : « les inégalités n’augmentent pas au Québec », « le Québec en fait assez pour réduire les inégalités », « les inégalités ne sont pas un problème pour le Québec », « les inégalités sont le résultat du mérite », « la lutte à la pauvreté devrait être prioritaire, pas les inégalités », « la réduction de la dette et du déficit devraient être LA priorité du Québec », « L’État est toujours inefficace et le laissez-faire est toujours mieux », « Le Québec n’a pas les moyens d’en faire plus pour lutter contre les inégalités », etc.

Un enjeu rassembleur

La réduction des inégalités peut devenir un objectif rassembleur et mobilisateur. Il est désormais bien documenté. Il interpelle tous les pays et tous les groupes sociaux. Il ne peut être résolu que par une combinaison d’actions qui concernent des thèmes qui touchent tous les citoyens comme l’éducation, le travail, l’impôt, le bénévolat. Tout le monde est touché par les inégaltés. Tout le monde peut donc y être intéressé davantage et se mobiliser pour les réduire.

Pour en savoir plus, vous pouvez consulter le centre de documentation créé par l’INM sur ce thème depuis trois ans sur le web. Il s’agit du plus important centre de documentation en ligne sur le sujet en langue française au monde : http://inm.qc.ca/blog/documentation/ ainsi que le Mirador des inégalités, le blogue de notre analyste Nicolas Zorn http://inm.qc.ca/blog/donnees-statistiques-lage-des-tenebres/.

[1] http://www.eve.coop/mw-contenu/revues/22/217/RVE_vol6_no1_Venne-Fahmy.pdf

[2] http://inm.qc.ca/blog/avis-du-jury-citoyen/

[3] http://inm.qc.ca/blog/sondage-leger/

[4] http://inm.qc.ca/blog/lettre-ouverte-inegalites-sociales/

[5] http://inm.qc.ca/blog/bulletins-budgets-2015/