Laïcité et lucidité

Ce texte a d’abord paru dans le journal Métro Montréal le 12 septembre 2013

Le débat sur la Charte des valeurs québécoises sera douloureux. Mais il sera utile, comme le sont tous les débats de société. Il nous aidera à clarifier la volonté commune de la société québécoise sur au moins trois dimensions essentielles.

  1. Notre rapport au catholicisme – On a beau dire que nous aurions collectivement rejeté la religion catholique dans les années 1960, plus de 75 % des Québécois se déclarent catholiques au dernier recensement même s’ils ne fréquentent plus l’église depuis longtemps et qu’ils commettent quotidiennement tous les péchés, véniels ou mortels. À peine 12 % ne déclarent aucune appartenance religieuse. Le débat sur la Charte des valeurs révèle déjà l’attachement durable d’un grand nombre de nos concitoyens à cette religion qui a fait partie de notre histoire et de notre identité. Le maintien du crucifix à l’Assemblée nationale en est le symbole. L’idée d’une Charte nous oblige à revisiter notre relation avec l’Église de Rome.
  2. Notre relation à l’islam – Les musulmans représentent à peine 1 % de la population québécoise. Mais nous avons collectivement souhaité leur présence par des politiques favorisant l’immigration de ressortissants des pays arabes parce qu’ils sont francophones. À notre invitation, ces personnes ont choisi le Québec pour construire leur vie. Ils sont Québécois ! La majorité d’entre eux ne fréquentent pas la mosquée et ne portent aucun signe démonstratif de leur foi. D’autres, oui. Ne soyons pas hypocrites. Le débat sur la laïcité vise d’abord les signes religieux de ces musulmans qui, en affichant leur foi, heurtent nombre de Québécois qui, à tort ou à raison, craignent l’intégrisme et l’islamisme militant. Nombre de femmes québécoises voient dans le port du foulard le signe d’une oppression. Notre relation à l’islam est teintée par un mélange de préjugés, de méconnaissance mais aussi de faits observés ailleurs dans le monde. Ce n’est pas simple. Le présent débat va nous forcer à regarder tout cela en face.
  3. L’articulation entre les libertés individuelles et l’identité collective – Le Québec est une société globalement libérale. L’idéologie des droits de l’Homme imprègne nos lois, notre culture, nos comportements. Nous avons adhéré à l’idée du pluralisme. En même temps, les Québécois forment une nation, une minorité continentale, toujours traversée d’une certaine insécurité. Pour réduire l’insécurité, la population appelle à la définition et à la célébration de « valeurs communes ». Nous avons encore du chemin à faire pour réconcilier ces deux volontés : le respect des libertés individuelles et l’affirmation d’une identité collective. Le débat sur la Charte est au cœur de cette contradiction.