Des valeurs et des chefs
Ce texte a d’abord paru dans Le Devoir le 18 août 2012
Qu’est-ce qui a fait le succès de Pierre-Elliott Trudeau et de René Lévesque ? Ils étaient, comme l’a écrit Gérard Bergeron, « notre miroir à deux faces ». Chacun ressemblait à une partie de nous-mêmes. En même temps, ils étaient plus grands que nous. Et puis, ils incarnaient leur époque.
Un chef, c’est avant tout cela. Quelqu’un qui nous ressemble, mais en plus grand.
Dans le monde complexe dans lequel nous vivons, l’un des premiers rôles de la politique, et en particulier celui de ses chefs, est de rendre la société compréhensible par ses membres. On s’attend d’un leader politique qu’il sache, en quelque sorte, nous raconter notre histoire, de manière à ce que l’on s’y reconnaisse: d’où venons-nous, que sommes-nous devenus et que souhaitons-nous pour l’avenir? Il doit prouver qu’il nous connaît mieux que quiconque.
L’un des pères fondateurs de la constitution américaine, James Madison, écrivait que l’on porte au pouvoir les représentants « qui ont le plus de sagesse pour distinguer le bien commun de la société et le plus de vertu pour le poursuivre ».
On veut quelqu’un possédant un bon jugement, sachant évaluer les risques et capable d’agir autant avec prudence qu’avec détermination. Le chef se comporte avec une certaine grandeur sans être hautain. Il sait faire comprendre à ses concitoyens la gravité des choses et la nécessité d’agir.
Mais le leadership n’est pas l’art d’imposer ses vues personnelles. C’est l’art de cerner les problèmes dans leur juste dimension, de réunir les acteurs concernés dans le dialogue, de faire apparaître les meilleures solutions compatibles avec les préférences de la société et d’avoir ensuite le génie de les appliquer.
C’est dans cette perspective qu’il faut recevoir les commentaires de François Legault, cette semaine, sur les « valeurs » qu’il veut changer au Québec. Cet appel à l’effort est un chapitre du récit de nous-mêmes qu’il propose au jugement des électeurs. Pauline Marois fait de même lorsqu’elle promet une charte de la laïcité et Jean Charest, avec la loi et l’ordre.
L’appel à l’effort de François Legault et sa dénonciation de « la belle vie » n’est pas neuf. Mais correspond-il à l’esprit du temps ?
Le politologue américain Ronald Inglehart observe l’évolution des valeurs dans le monde depuis le début des années 1980. Il est le directeur de World Values Survey, un réseau de scientifiques qui conduit des sondages dans une centaine de pays.
Inglehart observe que la transition des sociétés industrielles en sociétés du savoir entraîne un glissement dans le système de valeurs. Les priorités des sociétés avancées, où la survie économique n’est plus un enjeu, ne portent plus sur la sécurité physique et économique, qui est tenue pour acquise. Les valeurs prioritaires sont l’expression de soi, le bien-être individuel, la qualité de vie, la protection de l’environnement et une participation accrue des citoyens aux décisions politiques. Auprès des enfants, on insiste moins sur l’ardeur au travail mais on accorde plus d’importance à l’imagination et à la tolérance.
La résistance aux gaz de schiste au Québec s’inscrit dans cette mouvance. Les citoyens ont réclamé le droit d’être consultés et la protection de leur qualité de vie en dépit des gains économiques que fait miroiter l’industrie.
Les résultats d’Inglehart concordent avec ceux d’un sondage publié par l’Institut du Nouveau Monde dans L’état du Québec 2008 sur le bonheur des Québécois. Selon nos répondants, les trois éléments les plus importants pour déterminer le bonheur sont la santé, la famille et l’amour (une vie de couple réussie) ainsi que la sécurité financière.
L’argent n’arrive qu’au 14e rang au palmarès des éléments les plus importants de leur définition du bonheur. Pour eux ce n’est pas tant le niveau de revenu qui compte que la confiance qu’on ne manquera jamais de rien. Le travail contribue à l’épanouissement personnel mais l’énoncé suivant : « le travail doit toujours passer en priorité même s’il empiète sur notre temps libre », recueille une note de 3,8 sur 10.
Les chefs politiques sont des paroliers de notre identité et de notre cheminement collectif. À chacun d’entre nous de choisir lequel est le plus convaincant, à la fois semblable et plus grand.